Pour vendre ses logiciels de contrôle parental, McAfee peut compter sur la presse

"Ne t'inquiète pas, je ne te ferai aucun mal, je préfère l'anonymat du cyber-harcèlement"

« Ne t’inquiète pas, je ne te ferai aucun mal, je préfère l’anonymat du cyber-harcèlement »

Quels naïfs, ces parents ! Loin de se douter du potentiel maléfique de la Toile, ils dorment sur leurs deux oreilles, inconscients des dangers auxquels s’expose leur progéniture. Heureusement, les éditeurs de solutions d’anti-virus ne sont jamais avares d’études ad hoc, et les médias sont toujours ravis de pouvoir afficher de nouveaux titres anxiogènes.

 

La presse n’en finit pas de disserter sur les comportements des adolescents et de leur rapport avec Internet. Les polémiques emblématiques ne manquent pas. On se souvient des discours indignés et de la surenchère autour de ce danger national qu’incarnèrent les « apéros Facebook » , suffisamment importants pour entraîner des réactions politiques indignées et même un communiqué du ministre de l’intérieur de l’époque. Plus récemment, le suicide d’Amanda Todd, victime d’un maître-chanteur opérant sur Internet, a donné lieu à un vif émoi au Canada, débouchant même sur une proposition de loi pour lutter contre le bullying – devenu inévitablement le cyber-bullying. Ce climat de défiance permanente – tant vis-à-vis des jeunes dont on ne cesse de dénoncer l’égocentrisme et la violence, que vis-à-vis d’Internet, lieu fantasmé où se déroulent toutes les arnaques et tous les crimes, surtout les plus sombres – les médias l’exploitent souvent sans arrière-pensée. Et qui de promouvoir la sereine authenticité des « déconnectés » d’Internet, de fustiger le narcissisme de la « génération Facebook », ou de souligner les innombrables risques qu’encourent les internautes. Au risque parfois de devenir les complices passifs d’opération de communication savamment orchestrées.

C’est exactement ce qui s’est passé le 10 décembre. Reprenant un article de 01.net, BFMTV choisit une titraille racoleuse et fait mine de s’interroger : « Ados et web, des parents naïfs ? » Et l’article de déballer une impressionnante collection de statistiques accablantes : 62,5% des adolescents français auraient visionné du contenu pornographique sur Internet quand seuls 20% des parents estiment qu’ils l’ont fait ; dans le reste de l’Europe, ce taux serait de 76% au Royaume-Uni, de 55% aux Pays-Bas, et la chaîne de souligner l’incurie des parents qui s’inquiètent davantage des risques de tricheries (75%) que du contenu licencieux qu’auraient consulté leurs adorables rejetons. Et quand BFMTV tombe sur un os – ce faible taux de 7,9% des adolescents français ayant « dégommé quelqu’un en ligne » -, c’est uniquement pour souligner, avec une certaine gourmandise, que 93% des adolescents italiens ont déjà constaté des comportements cruels à l’encontre d’un camarade de classe sur les réseaux sociaux.

Étude scientifique ou instrument de communication ?

Mais quelle est l’origine de ces chiffres dont BFMTV et 01.net accablent ses parents de lecteurs ?  D’un communiqué de presse de l’entreprise américaine McAfee, faisant suite à étude opportunément mandatée par l’éditeur auprès du cabinet Atomik Research. Or, McAfee, n’édite pas que des antivirus, mais également… des solutions de contrôle parental. Et là, problème : impossible d’accéder à cette fameuse étude, dont on ne connaît ni la méthodologie, ni la taille du panel, mais qui ne manque pas de souligner avec un cynisme certain que si « 45% des jeunes britanniques ont déjà pensé à se suicider après des moqueries sur les réseaux sociaux », seuls un tiers des parents avouent n’avoir installé « ni mot de passe ni solution de contrôle parental pour contrôler l’activité en ligne » des adolescents. Des statistiques par ailleurs exploitées sans vergogne par le responsable Europe de McAfee, Raj Samani, cité par le Telegraph, qui déclare au journal anglais : « Nous pensons que ces données provoqueront un choc chez certains parents, et nous espérons qu’elles les encourageront à prendre des actions immédiates pour protéger leurs enfants. » Et d’ajouter : « Il est clair qu’un immense écart existe entre ce que font les adolescents sur Internet, et ce que les parents en savent. Les parents doivent agir pour s’assurer que leurs ados adoptent une conduite saine sur la Toile. »

Pour ressasser de vieilles rengaines populaires, les médias n’hésitent donc plus à mettre de côté leurs obligations déontologiques pour retransmettre des données dont ils pourraient à tout le moins suspecter la partialité. Certes, 01.net (et BFMTV) indiquent bien le commanditaire de l’étude. Mais ils préfèrent à un débat équilibré et contextualisé une longue litanie de chiffres anxiogènes, présentés sans perspective ni contrepoint sous une titraille qui n’est là que pour drainer toujours plus de trafic. En attendant la prochaine polémique.

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Une réflexion sur “Pour vendre ses logiciels de contrôle parental, McAfee peut compter sur la presse

  1. […] zut, ça y est, je suis blacklisté chez eux). Et évidemment, ces études et de campagnes sont relayées par les mauvais journalistes et autres blogueurs-RP trop heureux d’avoir du SEO sur le mot “pornographie” sans en […]

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